Bebop et Hardbop - HAMMOND B-3

Bonjour à tous, et merci Michel pour ce partage.

Une petite remarque pour le titre : le terme exact est bebop et hardbop, et non beep hop et hard hop. Je préconise de modifier afin de pouvoir retrouver le sujet facilement dans le futur

Il n'est pas question ici de faire l'exégèse des différents courant du bop, et chacun trouvera son compte en surfant sur Internet. Je souhaiterais cependant ajouter quelques informations.

Durant les années 30 et 40, les big bands de Duke Ellington ou de Benny Goodman dominaient la scène jazzistique, promulguaient le swing dont on attribue généralement la paternité à Louis Armstrong, et jouaient essentiellement des compositions ou des standards issus de comédies musicales de Broadway. Conscients qu'ils ne pourraient faire mieux que leurs aînés (dixit Dizzie Gillespie), une jeune génération de musiciens essentiellement noirs eu l'idée, au début des années 40 de reprendre ces standards, mais en bousculant les modes d'improvisation en introduisant des harmonies complexes et un débit de notes important. Pour autant, le swing devait rester une composante sine qua none. Bien sûr, ils en profiteraient pour composer des morceaux originaux, et même introduire des rythmes nouveaux comme la salsa par ex. Les cuivres étaient les instruments prédominants (Parker, Gillespie, Davis etc.) puis la section rythmique (Clarke, Roach etc.). Le piano se faisait plus discret, mais était bien sûr présent (Monk, Dameron, Powell etc.). Incompris au début, le bebop, sous formes de quartets ou quintets, s'impose de plus en plus au détriment des grandes formations, et voit naître une nuée de musiciens plus talentueux les uns que les autres (Gordon, Coltrane, Evans, Rollins, Jones, Getz, Stitt... la liste est trop longue !) Le "phrasé bop" devient la référence. Même s'il est souvent associé à la vélocité, de nombreux musiciens font cependant l'économie de notes (Monk, Davis...) tout en conservant l'esprit bop. Enfin, tous ces musiciens ne se sont pas contentés de jouer, mais ont véritablement créé ce courant.

Après 15 ans de forte influence, et alors que Charlie Parker meurt, un nouveau courant prend naissance en 1955 qui prend le nom de hard bop. Il est bien sûr issu de bebop, et reprend le phrasé, l'approche harmonique ou encore le swing. Mais il émane de la volonté de se rapprocher de racines noires avec un infleunce plus bluesy et churchy. De nouveaux rythmes, de nouvelles grilles harmoniques, de nouvelles formules font leur apparition. On pensera par ex. au tandem Max Roach/Clifford Brown, Horace Silver ou Art Blakey et les Jazz Messengers. Mais certains considèrent que le Giant Step de Coltrane fait également partie de ce courant, et le champ des possibles se fait encore plus large. La musique devient plus spirituelle, les ambiances moins enjouées mais plus prenantes ou pesante, les titres eux-mêmes sont parfois évocateurs d'événements parfois tragiques, voire de revendications. Mais le phrasé bop demeure et domine.


Voilà pour l'état des lieux. Et l'orgue dans tout cela ? C'est maintenant que je risque de m'attirer les foudres de certains d'entre vous. Si on est à peu près tous d'accord pour dire que l'orgue moderne démarre avec Jimmy Smith un peu avant 1955, je suis en revanche en désaccord pour dire qu'il était le Charlie Parker de l'orgue Hammond, ce qu'on peut lire parfois çà et là. Pourquoi ? Eh bien certes, s'il démarre sa carrière avec des morceaux bebop (mais pas uniquement) -et d'ailleurs comment faire autrement à l'époque pour être reconnu ?-, il est, à mon sens, injuste de dire que Jimmy Smith était un musicien bop. En particulier, le phrasé de son jeu, les harmonies peu complexes qu'il utilise, ou encore l'absence de prise de risque dans certains soli, tout cela fait qu'il est difficile de justifier qu'il était un musicien bop. Bien sûr, il a réussi à imposer l'orgue Hammond comme un instrument à part entière, et non comme un substitut économique à un big band, en développant notamment des techniques de basses qui feront école. Mais je rappelle par ex. que, sauf erreur, il n'a jamais joué ou enregistré avec Gillespie, Rollins, Coltrane, Roach, Davis, Gordon, Clarke... (de mémoire, il a joué je crois avec Blakey). Puis rapidement, une fois la notoriété acquise, il s'est orienté vers le blues, ce qui collait parfaitement avec son approche de l'instrument, en abandonnant rapidement les morceaux bop. Il devait d'ailleurs ne plus jamais quitter le blues ou presque, ce qui, à titre personnel, reste une frustration pour moi car j'aurais vraiment voulu l'écouter dans d'autres courants plus spirituels.

Il en sera de même pour quasiment tous les organistes qui allaient suivre, fortement marqués par l'influence de Jimmy Smith (souvent trop à mon goût). Il est même regrettable à quel point certains organistes ont simplifié à outrance des morceaux bop (be ou hard, peu importe), avec un résultat bien en-deçà de ce que ces morceaux méritent. Je pense par ex. à Daahood de Roach/Brown, dont l'interprétation faite par Richard Groove Holmes est bien loin de l'esprit bop. D'une façon générale, les organistes de cette génération prennent peu de risques harmoniques, et restent cloitrés dans des improvisations basées sur des pentatoniques simples, qui ne suffisent pas à l'interprétation de morceaux bop. Il y a quand même de bonnes surprises, mais elles sont rares.

Le premier organiste qui adopte véritablement un jeu bop tout en adhérant à l'esprit de cette musique est, à mon sens, Larry Young, qui était quasiment le seul reconnu par ses pairs, et qui a joué avec les meilleurs (Jones, Shaw, Davis, Henderson, Williams). C'était aussi le seul à se risquer à jouer du Monk à l'orgue, par ex. Je recommande sans réserve l'album Unity pour bien comprendre ce qu'est le bop, et comment l'orgue doit être utilisé ici. Puis Larry Young s'est orienté vers le free jazz, ce qui peut déconcerter. Mais c'est quasiment le seul organiste de cette époque à avoir suivi les influences de l'époque sans se cantonner au blues ou aux styles plus faciles.

Mais le "vrai" organiste bopper est certainement Eddy Louiss. Il suffit d'écouter une bonne partie de sa discographie comprise entre 1966 et 1974 env. pour s'en convaincre. Il ne joue pas que du bop, mais quand il en joue, c'est bop à 100%. Ecoutez Eddy Louiss Trio avec Clarke et René Thomas, où quasiment tous les morceaux sont des compositions bop (No Smoking, Nardis...) ou des standards joués dans le style bop. Il n'y a pas un disque équivalent chez un autre organiste. Une perle.

Plus près de nous, Sourisse, Bex, Goldings ont la culture bop, et joue parfaitement bop lorsqu'ils le souhaitent. Leur culture musicale est énorme.

L'esprit bop n'a jamais été très en vogue chez les organistes, qui généralement se limitent à des interprétations de standards sans improviser bop, et surtout préfèrent jouer du blues. L'empreinte de Jimmy Smith a toujours et est encore très prenante, ce qui malheureusement n'a pas pu imposer l'orgue comme il aurait dû dans des musiques plus spirituelles ou intenses, et c'est pourquoi très peu de disques existent de boppers célèbres dans lesquels on trouve un orgue. C'est moins vrai depuis le milieu des années 1990, car les esprits se sont ouverts, les influences musicales se croisent plus facilement. Mais à mon sens, la symbiose avec le bebop ou le hardbop à la grande époque n'a pas eu lieu, hélas.

Merci infiniment Stéphane pour ce remarquable exposé  

Mais non tu n'attireras pas la "fourdre" bien au contraire ton raisonnement et le développement musical que tu nous partage est très intéressant, enrichissant et remarquablement détaillé, j'adore pour ma part  

Pour faire suite à tes recommandations, voici ce qui nous transporte avec de grands, de très grands musiciens  

Bonne écoute, sans modération  

Eddy Louis Trio (w/ Rene Thomas & Kenny Clarke), "Jazz Harmonie", France 1969

Eddy Louiss trio

Larry Young + Woody Shaw + Joe Henderson + Elvin Jones - Unity [FULL ALBUM]

Larry Young "UNITY"